La contrefaçon fait perdre près de 7 milliards d’euros par an aux entreprises françaises. Un phénomène qui touche tous les secteurs, de l’habillement aux cosmétiques en passant par l’industrie ou encore les logiciels. Pour lutter contre ce phénomène et en minimiser l’impact, les entreprises doivent avoir une vraie réflexion stratégique sur leur propriété industrielle.

« Il y a quelques années, nous nous sommes fait copier notre site par un Chinois. Mais au lieu de s’appeler cadeau-maestro.com, ce site avait pour nom de domaine cadeaumaestro.com. Nous n’avions pas réservé toutes les déclinaisons possibles du nom de domaine pour notre site et il en a profité pour copier l’intégralité de la partie visible de notre site dans l’espoir de nous revendre le nom de domaine 50 000 à 100 000 €. Nous lui avons dit que cela ne nous intéressait pas : pour que son site ressorte sur Google, il aurait fallu qu’il travaille des années sur le référencement. Nous lui avons simplement envoyé un courrier pour lui rappeler que nous avions déposé la marque et le logo. Résultat, il a abandonné la partie visible du site et a utilisé le nom de domaine pour faire un site de robes de mariages ».

Des anecdotes comme celle relatée par le dirigeant du site de vente en ligne Cadeau Maestro, Sylvain Bruyère, il y en a pléthore. Malheureusement, faute d’avoir déposé en amont des titres de propriété industrielle (marques, brevets, dessins et modèles), toutes ne se terminent pas aussi bien. Elles peuvent même avoir des conséquences économiques dramatiques pour les entreprises. Selon la dernière étude de l’Office de l’Union Européenne pour la propriété intellectuelle, la contrefaçon ferait perdre 6,8 milliards d’euros par an de chiffre d’affaires aux entreprises françaises, soit 5,8 % de leurs ventes. Au niveau européen, ces pertes se monteraient à 60 milliards d’euros par an et causeraient la destruction de 435 000 emplois.

Identifiez vos besoins et définissez une stratégie

Pour éviter d’en arriver là, l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) préconise d’intégrer la propriété industrielle (PI) au cœur de la stratégie de l’entreprise. « La propriété industrielle ne doit pas être vue comme la cinquième roue du carrosse. Elle permet de sécuriser les actifs immatériels de l’entreprise qui sont le résultat de beaucoup de temps et d’argent investis », explique Céline Mathevet, déléguée pour la région Auvergne Rhône-Alpes de la direction de l’action économique de l’Inpi.

Pour cela, il convient en premier lieu d’identifier ce qui doit ou non être protégé. L’Inpi propose ainsi des « prédiagnostics PI » qui permettent « d’identifier les besoins, de repérer là où il y a de la valeur », explique Céline Mathevet.

Pour 15 €, l’enveloppe Soleau permet de certifier la date d’une invention

Spécialisée dans le développement d’intelligence artificielle pour les robots sociaux (programmes informatiques qui interagissent avec les humains), la start-up Hoomano a suivi ce prédiagnostic. « Il y a un an, nous avons monté un laboratoire d’intelligence artificielle qui nous a fait prendre un virage technologique. De simples développements de logiciels non brevetables, nous sommes passés à des résultats qui, eux, pouvaient donner lieu à un brevet. Et c’est grâce au prédiagnostic PI que nous avons identifié comment nous devions nous y prendre pour protéger les recherches menées par notre laboratoire et intégrer vraiment cette dimension dans notre stratégie d’entreprise », expose Cyril Maitrejean, cofondateur et directeur financier d’Hoomano.

Attention aux partenaires et aux contrats de travail

Car avant d’arriver à la protection à proprement parler de l’innovation, il convient de protéger en amont toutes les étapes qui permettent d’aboutir à celle-ci. On peut, par exemple, déposer une enveloppe Soleau auprès de l’Inpi pour poser les jalons préparatoires à un futur dépôt de brevet. « Ce n’est pas un titre de propriété industrielle, mais l’avantage, c’est que, pour seulement 15 euros, cela vous permet de prendre date d’une création dont vous êtes l’auteur. C’est un bon compromis entre la lettre avec accusé de réception que l’on s’envoie à soi-même et la datation par un notaire », indique Céline Mathevet.

Disponible également en version électronique (e-soleau), cette enveloppe Soleau permet aussi de consolider un accord de confidentialité. Accord qu’il convient de passer en amont du dépôt de brevet avec d’éventuelles prestataires ou clients finaux. « Il faut protéger les relations commerciales que l’on peut avoir durant la phase R&D. Quand on crée une technologie, on a envie de pouvoir en parler, de la confronter au marché sans risque de se la faire piquer. Dès que nous avons lancé notre laboratoire d’intelligence artificielle, nous avons donc commencé à faire signer des contrats de confidentialité », argumente Cyril Maitrejean.

« Un salarié qui développe en interne une création pour son employeur est propriétaire de cette création. »

La start-up lyonnaise a aussi renforcé les contrats de travail avec ses salariés via des avenants qui incluaient des clauses de confidentialité et de propriété industrielle. « Cette question des contrats de travail est très importante, car un salarié qui développe en interne une création pour son employeur est propriétaire de cette création, en vertu des droits d’auteur. Dans le domaine du logiciel, les droits d’auteur remontent automatiquement à l’employeur, mais pour de la création de textes ou de logo, c’est l’employé qui bénéficie des droits. Il faut donc faire signer une clause de cession des droits d’auteur à ses salariés », insiste Gaëlle Rousseau, fondatrice du cabinet de conseils en propriété industrielle Galia Partners.

Dans les prochaines semaines, les entreprises devraient également pouvoir déposer une demande provisoire de brevet, un mécanisme instauré par la loi Pacte. D’une durée maximum d’un an, ce dispositif censé être plus simple et moins onéreux doit permettre aux PME de déposer davantage de brevets.

Déposez votre marque et le nom de domaine associé

Autre point important qu’il convient de traiter, avant même de lancer un nouveau produit ou service : le dépôt de marque. Il faut même le faire dès la création de sa société, si la dénomination sociale a pour vocation de devenir le vecteur de communication de l’entreprise. Et bien entendu, il convient en amont de faire une recherche d’antériorité pour vérifier que cette marque, et le nom de domaine Internet associé, n’ont pas déjà été déposés en France ou à l’international, si on a des velléités de développement à l’export. « Si on ne le fait pas, cela peut devenir une véritable bombe à retardement. Imaginez que, pendant cinq ou dix ans, vous investissiez dans le développement commercial et marketing d’une marque et que, du jour au lendemain, on vienne vous dire que vous devez l’abandonner, car elle est déjà déposée », développe Gaëlle Rousseau.

Pour éviter ce genre d’écueil, Sylvain Bruyère dépose systématiquement les marques et les noms de domaine associés « dès la phase projet, avant même que l’idée soit développée. Et ce, même si au final on ne sort pas de produit ou si on ne le fait que dans cinq ou dix ans ». À ce jour, Cadeau Maestro a déposé quatre marques, « dont une sur laquelle nous n’avons pas encore travaillé ». Qu’à cela ne tienne en matière de propriété industrielle, mieux vaut prévenir que guérir !

Source : https://www.lejournaldesentreprises.com/france/article/propriete-industrielle-comment-proteger-ses-innovations-126888